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Jusqu’en 2020, la Place du Marché abritait un monument érigé en hommage au commandant suisse Gabriel Forneret qui, durant la Révolution vaudoise de 1798, a commandé un bataillon chargé de repousser les troupes pro-bernoises et qui fut mortellement blessé dans un combat près du Col de la Croix (entre Villars et les Diablerets). Il mourut à Gryon le 6 mars 1798. Son corps fut inhumé le 7 mars 1798 sur la Place du marché de Bex, au pied de « l’arbre de la liberté » qui venait d’y être planté. 127 ans après sa mort, le 19 avril 1925, un monument fut élevé à sa mémoire par les autorités de Bex. Ce monument a été déplacée en 2020 au cimetière de Bex.
En janvier 1798, des mouvements hostiles à la domination bernoise se développent dans le Pays de Vaud. Ils sont soutenus par le gouvernement français (le Directoire) et par les troupes françaises. Le 24 janvier 1798, une Déclaration d’indépendance vis-à-vis de Berne est ratifiée à Lausanne. Un drapeau vert, orné des mots : "République Lémanique ; Liberté, Égalité" est adopté et, partout, sur les places des villes et des villages, des arbres de la liberté sont plantés. Berne réagit en levant des troupes : du 25 janvier au 5 mars, les combats font rage. Un général français est placé à la tête des troupes d’Helvétie et dirige les opérations contre Berne. L’armée d’Helvétie engrange quelques victoires, entre février et début mars.
L’une des dernières poches de résistance des Bernois se situait dans les Ormonts (entre Le Sépey et les Diablerets), leur population soutenant le régime bernois. Au début de mars 1798, une opération militaire en tenaille est donc projetée contre les pro-Bernois des Ormonts : une colonne devait monter depuis Aigle en direction du Sépey, une autre colonne devait attaquer du côté des Diablerets, en venant de l’arrière, par Gryon et le Col de la Croix.
C’est cette colonne que commande Gabriel Forneret (1763-1798), un Suisse né à Romainmôtier, officier de carrière, engagé d’abord en Hollande puis au service de la Sardaigne avant d’être nommé lieutenant-colonel dans l’armée d’Helvétie. Le bataillon qu’il dirige est composé de soldats français, valaisans et vaudois, ainsi que de volontaires de Bex et de Gryon. On possède une lettre manuscrite de Forneret, datée du 4 mars 1798 et dans laquelle il confirme son ordre de marche en direction des Ormonts. Il y réclame également aux citoyens de Bex et de Gryon des vivres pour deux jours et « autant de souliers que possible, à l'usage de la troupe, dont beaucoup d'individus manquent ».
La colonne part de Bex le 4 mars en début d’après-midi, atteint Gryon encore enneigé, puis entame l’ascension du Col de la Croix dans la haute neige et l’obscurité. La montée est difficile, un des guides se trompe de chemin, des hommes meurent de froid et d’épuisement. La troupe bivouaque au milieu de la nuit à l’alpage de Taveyanne, en brûlant une partie d’un chalet pour faire du feu.
Le 5 mars, la colonne franchit le Col de la Croix vers 6h du matin alors qu’il fait encore nuit. La troupe s’engage dans la descente, en glissant dans les congères et la haute neige. Quelques centaines de mètres en dessous du col, vers 7h, au hameau de Tréchadèze, c’est l’affrontement : les Ormonans, retranchés derrière un rempart de sapins abattus, canardent les soldats de Forneret qui tentent de riposter à la baïonnette. Vers 10h, Forneret est grièvement blessé par une balle. La troupe décide alors de se replier, en abandonnant les morts sur place mais en emmenant le lieutenant blessé. Forneret est transporté sur une civière par ses hommes pendant plusieurs heures, jusqu’à la cure de Gryon.
La victoire des Ormonans sur le bataillon Forneret est de courte durée : face aux effectifs des troupes françaises venues depuis Aigle, les Ormonts capitulent, le 5 mars dans la journée. Le même jour, Berne tombe aux mains de l’armée d’Helvétie.
Le 6 mars, dans la matinée, Forneret décède à la cure de Gryon et son corps est descendu à Bex. Les blessés de la bataille du Col de la Croix sont amenés à Ollon.
Le 7 mars ont lieu les funérailles de Gabriel Forneret, organisées par des représentants du gouvernement français et de l’armée d’Helvétie. Un compte-rendu paru dans le Bulletin officiel des 14 et 15 mars 1798, relate la cérémonie :
« Le corps déposé à un quart de lieue de Bex, fut cherché par toute la garnison, consistant en mille hommes environ. La musique lugubre précéda le convoi avec un piquet du Bataillon du défunt ; ensuite vint le cercueil porté par douze Officiers de divers grades suivi de jeunes filles habillées de blanc avec des branches de lauriers. Tout le Bataillon du défunt, en armes, marcha sur deux files sur les côtés. Vinrent après le Citoyen Mangourit dans son costume, écharpe et chapeau ornés de plumes tricolores ; les Citoyens Chastel, Général Denucé et l’Etat-major ; les autorités militaires et civiles ; toute la troupe sans armes, et un peuple innombrable. Le convoi arrive sur la place, l’Etat-major monta sur une tribune derrière l'arbre de la liberté, le cercueil fut déposé devant, et la troupe forma un Bataillon quarré (sic), pendant que la musique jouait des airs analogues à la cérémonie funèbre.»
Après des discours prononcés par un représentant du gouvernement français – le citoyen Mangourit – et un représentant de l’armée – le chef de brigade Chastel – le cercueil fut mis en terre, au pied de l’arbre de la liberté. A la demande du citoyen Mangourit, les autorités de Bex auraient alors promis de faire élever une pierre tombale avec cette inscription :
« VOYAGEUR ; ICI REPOSE FORNERET, FUIS SI TU ES TIRAN, ASSOIS-TOI SI TU ES UN FRERE - SUR CETTE TOMBE APRES LA VICTOIRE DU 5 ET 6 MARS 1798 MANGOURIT RESIDENT DE LA REPUBIQUE FRANCAISE RECUT LES SERMENTS DE FRATERNITE ETERNELLE DES FRANÇAIS, DES VAUDOIS, DES VALAISANS ARMES POUR LA LIBERTE DU MONDE».
Toutefois, ce monument semble n’avoir jamais été élevé : la mention d’un « serment de fraternité » entre Français, Vaudois et Valaisans est certainement vite devenue gênante pour les autorités de Bex.
En revanche, en 1925, alors que l’usage s’était répandu en Suisse d’élever des monuments aux morts de la Première guerre mondiale, les autorités de Bex ont fait construire un monument commun en mémoire des morts de 14-18 et de ceux du combat des Ormonts ; il subsiste toujours au cimetière de Bex.
Pour en savoir plus:
L. Desponds, H.-L. Guignard., Union et Concorde, Aigle-Académie du Chablais, 1998, p. 161-188 et 282.
M. Reymond, « Les combats dans les Ormonts en 1798 », Revue historique vaudoise 33, 1925, p. 97-107, 129-140, 161-172.
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